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Henri Charlier, écrivain
«Le beau est une valeur morale indispensable à la société. L’amour est fait de beau et de bon, et c’est cela le vrai : l’amour du beau et du bon. L’œuvre de l’intelligence est de scruter l’œuvre de l’amour divin sans oublier jamais cet amour fondement et aboutissant de toute la création.»
Nous vous proposons de découvrir les écrits d’Henri Charlier selon trois grands thèmes : Esthétique, Spiritualité, Politique. Une bibliographie complète est également disponible (téléchargement format pdf), ainsi qu’une liste des références à Henri Charlier dans diverses publications.
«Au fil des jours l’Église enseigne, nourrit, console ; elle donne un aliment spirituel quotidien non seulement par le saint sacrifice de la messe et l’Eucharistie, mais par le choix des lectures qu’elle propose à notre attention et celui des saints qu’elle célèbre. La suite des fêtes de l’année est comme un catéchisme annuel où est rappelé toute l’histoire de la Rédemption et la manière dont les saints ont su profiter des mérites de Jésus-Christ. Il n’y a qu’une spiritualité qui consiste à imiter Jésus-Christ selon sa condition et ses moyens. Jésus est l’exemplaire éminent de la vie spirituelle, Verbe éternel fait homme, vivant en présence du Père dans l’union du Saint-Esprit. Il nous a par ses propres paroles invité à cette vie d’union à Dieu et nous en a laissé les moyens sans en exclure personne. Comme en Jésus, la vie spirituelle commence, continue et finit par l’exercice de la présence de Dieu. Méditer est un moyen de s’habituer à cette présence. Le plus simple est de faire ce que fait l’Église et de suivre le cours de ses fêtes. On peut donc et on doit recommander pour la méditation le cours des offices de l’Église. » (Les propos de Minimus)
Les chroniques de spiritualité que tenait Henri Charlier dans la revue Itinéraires sous le pseudonyme de D. Minimus ont été rassemblées par sa nièce Marguerite Charlier, sous le titre Les propos de Minimus (en deux volumes). Le choix de classer ces chroniques selon l'ordre de l'année liturgique (d'abord le temporal, puis le sanctoral) est des plus heureux, et il est conforme à la pensée de Charlier qui entendait donner à chaque numéro de la revue un commentaire des textes liturgiques du temps. Le choix a obligé à faire certaines coupures, et à omettre quelques méditations entières. Certaines d'entre elles sont à lire directement dans la revue Itinéaires, comme par exemple celle que D. Minimus écrivit sur Le Concile et la Semaine de l'Unité, dont la connaissance est indispensable pour avoir une vue équilibrée sur la pensée de Charlier en matière d'esprit du Concile ou d'œcuménisme. La spiritualité de D. Minimus puise aux sources vives de l'Écriture et des grands Docteurs et Pères de l'Eglise, mais aussi à des auteurs de l'antiquité (Eschyle, Sophocle, Virgile…) ou plus proches de nous (Bossuet, Péguy…). Le style écrit se caractérise par sa fraîcheur et prend souvent le ton familier d'entretiens ou de conversations privées, d'où le nom de Propos donné à ce recueil. En dépit de la signature qui fit croire à certains lecteurs que l'auteur de ces chroniques était prêtre, on y retrouve souvent la marque du laïc engagé dans la vie professionnelle et familiale. Nous ne pouvons citer longuement, il y a des perles pour ainsi dire dans chaque méditation. Mais seulement ce commentaire de l'intervention de Marie à Cana, dans La liberté de Marie : «Aux noces de Cana, Jésus savait très bien qu'il ferait le miracle ; il répond à Marie : “Que nous importe à vous et à moi, mon heure n'est pas encore venue.” Et Marie, inspirée de son époux l'Esprit-Saint, connaissant son rôle de puissance suppliante et usant de sa liberté dit aux serviteurs : “Quoi qu'il vous dise, faites-le.” Elle compte sur l'acte miraculeux. (…) Ces faits rapportés par l'Evangile montrent que la croyance très générale des hommes à leur libre-arbitre est juste. Les hommes ont cette liberté de choisir la voie sur laquelle ils s'engagent. Ils sont créés à l'image de Dieu, ce qui ne veut point dire semblables. L'habitude de la science qui consiste à chercher des égalités quantitatives dans de petits systèmes fermés a perverti l'usage de l'intelligence. Tout est analogue dans le monde et non point semblable. La liberté de l'homme analogue à celle de Dieu s'emboîte dans la volonté et la liberté divines, mais les hommes peuvent la perdre et devenir esclaves du péché. Le Christ la leur restitue en les just ifiant. Le pécheur ne pèche point sans libre arbitre et le pénitent ne fait pas pénitence sans le libre arbitre aidé par la grâce de Dieu qui le justifie. Tout cela est mystère, mais mystère lumineux.» Le rôle de Marie à Cana, mystère lumineux : Henri Charlier a écrit cela en 1972, trente ans exactement avant la lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ de Jean-Paul II, qui institue les “mystères lumineux” du Rosaire (Cana est le deuxième mystère lumineux). Qui ne voit dans cette intuition de D. Minimus une expression de ce sens surnaturel de la foi auquel tout fidèle, instruit par l'Esprit-Saint, a sa part ?
«La politique est, après le service de Dieu, la plus haute fonction à laquelle on puisse aspirer, car elle a pour objet de rechercher le bien commun des hommes et de l'assurer autant qu'il est possible. Or, ce bien commun consiste à trouver commodément de quoi vivre, et à éloigner les obstacles matériels tant à la vie du corps qu'à celle de l'âme, la misère, la discorde, les occasions du vice et du péché. On se fait illusion si l'on pense qu'il suffirait d'être chrétien pour éviter ces misères. Il faut encore avoir des idées justes, non seulement au sujet de la Révélation, où il n'y a qu'à les recevoir, mais au point de vue des choses humaines.» (La réforme politique)
«Le plan d'achèvement du monde est entre les mains des penseurs, savants, philosophes, artistes, et des ouvriers et du laboureur. Mais les beaux-arts et la poésie échappent mieux que les autres oeuvres à la fascination de la quantité. Ils vont droit à l'essentiel, à l'amour, à la liberté dont dépendent le bonheur de l'homme et le droit achèvement du monde. L'art, surtout l'art chrétien est chargé de lever le voile qui cache à l'esprit les grandeurs de l'esprit. Son oeuvre n'est pas une simple imitation faite par jeu ; elle n'est pas non plus un pur symbole idéaliste, mais, pour l'accomplissement de nos destinées, elle est une transfiguration.» (L'art et la pensée)
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Spiritualité
Esthétique - Arts plastiques - Musique
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Outre de nombreux articles sur ces sujets, nous trouvons deux ouvrages importants d'Henri Charlier : — Culture, école, métier (1942) — La réforme politique : recueil posthume de textes sur la politique, réunis par Marguerite Charlier (1997, éditions Dominique Martin Morin). Outre l'introduction magistrale de ce livre, signalons le chapitre Réflexions de Claudel sur le problème social, qui insiste sur le fait que la vraie réforme de la société doit permettre à l'homme de trouver son épanouissement moral. Le dernier chapitre Le beau est une valeur morale indispensable à la société conclut magnifiquement l'ouvrage en donnant à l'art la place qui lui revient dans cette réforme morale. Culture, école, métier est un livre consacré à la réforme de l'enseignement. Henri Charlier parle en homme d'expérience : après avoir été professeur de dessin pendant dix ans dans les écoles de Paris, il avait enseigné à plusieurs élèves dans son atelier de sculpture pendant vingt ans. L'idée principale de Charlier est que l'enseignement à partir des livres ne peut suffire. Il doit être joint à l'expérience des métiers et de la vie : «Depuis longtemps, la grosse erreur est de prendre la culture livresque des professeurs et des érudits pour la vraie culture ; lorsqu'elle est séparée de l'expérience des métiers et de la vie, cette culture livresque donne une idée très fausse des grands hommes mêmes dont elle prétend étudier les œuvres, car ils avaient tous une grande connaissance de la vie et de l'expérience pratique de métiers créateurs. C'est alors une machine qui tourne à vide, qui aboutit aux généralisations sans fondement et à l'utopie.» Les références à Bergson et Péguy sont très nombreuses, en particulier au chapitre II sur L'enseignement et la vie se trouve une longue citation de Bergson tirée de La pensée et le mouvant qu'il faut aller lire ainsi que le commentaire de Charlier. On peut concentrer la pensée de ce livre dans un passage où Charlier parle de son grand-père vigneron (auquel Culture, école, métier est dédicacé). Il compare l'enseignement scolaire reçu dans la salle de classe et l'expérience du métier agricole, et définit le bon sens paysan en quelques lignes qui traverseront les siècles par leur évidence : « Je me rends très bien compte de ce qu'une connaissance moyenne de la chimie, de la géologie et de l'histoire peut ajouter à cette expérience de l'être, et c'est précisément ce qui m'aidait à compléter l'expérience de mon grand-père ; mais ces métiers (agricoles) ont une supériorité qui ne leur sera jamais enlevée, c'est d'enseigner qu'il y a une nature des choses. Un professeur peut être dans l'erreur, y rester toute sa vie, massacrer mille, dix mille intelligences, il garde une bonne place, puis prend une retraite confortable. Mais si le paysan manque deux fois de suite les semailles, il est ruiné. C'est l'origine de ce qu'on appelle le bon sens paysan : il sait qu'il y a une nature des choses et qu'on ne la changera pas. (…) J'étais vacciné pendant mes études contre les défauts de l'éducation littéraire, parce que le surlendemain de la sortie de classe, j'étais en moisson, pour de bon, à javeler derrière un faucheur qu'il ne fallait pas retarder. Tous les problèmes pratiques de l'agriculture, dans un jeune esprit fait pour réfléchir, servaient de point de départ pour étudier l'homme, la pensée et la vie. » C'est à la lumière de ce bon sens paysan que Charlier fait des propositions concrètes de réforme de l'enseignement.
ARTS PLASTIQUES Les trois ouvrages importants d'Henri Charlier en matière d'arts plastiques : — Art et missions : Essai sur les fondements des arts (1934). — Le martyre de l'art ou l'art livré aux bêtes (1957). — L'art et la pensée (1972). Dès le début de sa carrière artistique, Henri Charlier a développé, conjointement à son œuvre plastique, sa pensée esthétique. Il rattachait cette pensée non seulement à celle de ses devanciers immédiats, Rodin, Cézanne, Gauguin, mais aussi à celle des époques antérieures, et en dernière analyse aux Livres inspirés de l'Écriture — en particulier l'Evangile, saint Paul, et les livres Sapientiaux. Nous connaissons le jugement porté par Paul Claudel lors de la parution de l'essai de Charlier Art et missions, il suffit à montrer la place qu'occupe Henri Charlier dans la philosophie de l'art : « L’art catholique moderne peut s’enorgueillir de noms comme ceux d’un Dom Bellot, d’un Cingria, d’un Charlier (qui fait paraître en ce moment avec une compétence que je n’ai pas, dans le Bulletin des Missions de Saint-André de Lophem, d’admirables articles), d’un Servaes. » (Positions et propositions) Art et missions est un travail long et très documenté sur les grandes époques d'arts au cours de l'histoire (avec illustrations). Charlier lui a donné un sous-titre significatif : Essai sur les fondements des arts. Ces fondements sont : l'art du trait, l'expression par la forme et la couleur pour l'art en général ; l'achèvement du monde en le tournant vers l'ordre des réalités surnaturelles, pour l'art chrétien. Ces grandes idées arrivent à maturité dans le maître livre de Charlier L'art et la pensée, qui couronne son œuvre artistique. Ce livre fut publié en 1972, mais le manuscrit était achevé avant 1944 (date de la première tentative d'édition). C'est à partir de cet ouvrage majeur que nous dégageons les principes essentiels de l'esthétique d'Henri Charlier. 1- L'art est une métaphysique. Henri Charlier a toujours eu cette conviction fondamentale que l'art est une métaphysique. Cette idée était déjà ébauchée dans ses lettres à Péguy (21 juin 1913) puis à son père Charles Charlier (septembre 1916). Après avoir montré dans Art et missions l'idée que le Beau est un transcendantal — une propriété transcendante de l'être — au même titre que le Vrai et le Bien, Charlier fixe sa pensée dix ans plus tard dans L'art et la pensée : «Les Beaux-Arts sont une métaphysique et non pas une psychologie. C'est un art spéculatif, comme la logique, qui s'applique à l'être considéré comme le Souverain Beau. Le beau est l'éclat du vrai. Le vrai n'est plus visible si on lui retire sa clarté — avis aux philosophes —, le beau est dégradé s'il méconnaît l'ordre de l'être — avis aux artistes. La beauté n'est pas un ornement surajouté au bien, elle est l'être même du bien chargé d'amour, tel qu'il est et tel qu'il se montre. Le beau se dégrade s'il n'est recherché que pour s'amuser. Ainsi le beau est inséparable du vrai. Il en est la splendeur, il est la fleur sensible et intellectuelle du bien. Il est la clarté de l'être. Pour un chrétien, il ne peut être un jeu ou un divertissement.» 2- L'art est un système de pensée Si l'art est une métaphysique, s'il atteint l'être, il constitue donc un système de pensée, par lequel l'artiste étudie le réel et en rend compte au moyen du langage qui lui est propre (couleurs, formes, sons musicaux, etc). Cet aspect est au cœur même de la question que se propose d'élucider le livre L'art et la pensée, où Charlier répond à une observation erronée que lui faisait un jour le philosophe Jacques Maritain (elle est rapportée au chapitre L'art, la pensée, la foi, p. 168 de la première édition) : «Les philosophes disent : “Nous, nous analysons le réel ; vous, vous faites quelque chose.” C'est-à-dire : nous, nous pensons, et vous, vous jouez.» A quoi Charlier répond (premières lignes de l'introduction de L'art et la pensée) : « Les beaux-arts forment un système de pensée où le vrai importe autant que le beau. Le beau est lié au vrai, dont il n'est autre chose que l'éclat, disent les philosophes. Les beaux-arts comportent donc une recherche du vrai, non pas accessoire, mais fondamentale. (…) Mais chez les gens cultivés eux-mêmes, le système de pensée des artistes est rarement compris ; on lui refuse même d'être un système de pensée… Ils ne veulent pas croire que mon idée, c'est ma statue ; ils veulent qu'elle soit la traduction en pierre d'une de leurs idées verbales, et si je ne leur donnais pour les contenter quelque phrase à ronger, ils me prendraient pour un imbécile.» Les développements ici sont inutiles : que l'on prenne la peine d'examiner les œuvres de Charlier ou leurs reproductions (nous en analysons quelques unes dans la Vie d'Henri Charlier et dans les pages consacrées à la sculpture). On verra si, oui ou non, les œuvres de Charlier expriment une pensée. 3- Il existe une esthétique chrétienne — ce qu'elle apporte à l'art païen Le chapitre de L'art et la pensée consacré à l'esthétique chrétienne répond encore à une autre erreur de Jacques Maritain. Dès avant la première guerre, Charlier affirmait à qui voulait l'entendre ce qu'il écrira ensuite dans ce chapitre : «Il y a une esthétique chrétienne, puisqu'il y a une philosophie chrétienne. Tout est pour le Christ et le Christ est pour Dieu (saint Paul). Le Christ a racheté les hommes, et apporté à la nature entière son couronnement. Il la met à sa place, puis il l'achève.» Là-dessus, quelques années plus tard, Maritain écrivait à Cocteau la lettre que voici : «L'art d'Eglise qui fait des objets devant lesquels on prie se doit d'être religieux, théologal. Hors ce cas particulier, il est bien vrai que Dieu ne demande pas d'art “religieux” ni d'art “catholique”.» Voici ce qu'en pense Charlier : «Nous répondrons avec saint Paul : “Quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu.” Saint Paul dit : Que toute œuvre soit catholique.» (p.94) Suit une argumentation philosophique magistrale de Charlier, qui s'appuie sur la considération d'une fin unique pour toute activité humaine : «Ces paroles [celles de Maritain] furent interprétées par beaucoup d'artistes, et en particulier par celui à qui était adressée la lettre, comme une autorisation donnée par un philosophe catholique de ne pas s'inquiéter de l'idée qu'ils se faisaient de leur art, ni d'unifier leur vie, mais de suivre bonnement l'art de leur nature déchue. « Or l'œuvre d'art d'un païen même se doit d'être religieuse ; la vie de l'homme n'a pas deux fins, chacun de ses actes, directement ou indirectement, a la même, et c'est Dieu. L'art n'est qu'une des activités de l'homme subordonnée à sa fin. Et l'art même des grands païens, Eschyle ou Sophocle ou Phidias est un art volontairement religieux. Autrement l'art devient une fin pour l'artiste, devient une idole. Depuis l'An Quinze de Tibère César, il n'est plus possible d'être un Phidias, il n'est plus possible même d'être un bon païen, qui mette le monde dans la clarté d'une lumière naturelle, car une nouvelle lumière est apparue…» (p. 95) Pour finir, Henri Charlier explique l'apport de l'esthétique chrétienne : «L'esthétique chrétienne libère l'art de l'imitation de la nature. A la différence des Égyptiens ou des Grecs pour qui les forces de la nature sont divines, l'esthétique chrétienne ne voit en elles que des créatures, qu'un analogue, et l'œuvre chrétienne qui est d'achever la création par l'esprit, ajoute à la nature les formes de l'esprit. L'œuvre chrétienne n'est pas une imitation de la nature, mais un nouvel analogue, une sœur de la nature.» (p. 135) Et cette conception de l'art comme un analogue de la nature amène Charlier à le définir comme une parabole. 4- «L'art est une parabole» Cette définition de l'art, qui fait l'objet du deuxième chapitre de L'art et la pensée , figurait déjà dans la Note sur l'esthétique chrétienne publiée par Charlier en 1930 dans la revue La vie intellectuelle. Il faut lire le chapitre de L'art et la pensée qui développe cet aspect. Mais il y revient un peu plus loin, résumant ainsi sa conception : «Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a donné le modèle de l'art : l'art est une parabole ; juste ce qu'il faut de vie réelle et familière pour suggérer par analogie les profondeurs de l'esprit : Un homme avait deux fils…» (p. 137) Cela signifie : l'art chrétien ne cherche pas à imiter la nature. Il doit au contraire, par le biais de formes visibles empruntées à la nature, suggérer le monde des formes invisibles qui sont celles des réalités surnaturelles. Et de là, Charlier peut alors envisager la mission de l'art. 5- La mission de l'art : l'achèvement du monde — «L'art est une transfiguration» Ici encore les commentaires sont superflus, citons L'art et la pensée : « L'œuvre des hommes et des chrétiens dans le monde est d'y achever la création suivant le plan spirituel voulu de Dieu. La vigne et le blé remplacent la forêt, le hallier, les ronces, le marécage, et au dernier jour la terre aura cet aspect que l'homme lui aura donné et qui la prépare à devenir ce ciel nouveau et cette terre nouvelle, séjour de notre gloire future. (…) L'art achève le monde. Il a précédé et précède la science. Le levier et la roue ont commencé de transformer la terre et d'y répandre l'homme, bien avant les théories mécaniques. Les outils, les instruments, œuvres de l'art, sont les conditions préalables de la science.» Au dernier chapitre du livre, Charlier fait un commentaire du chapitre 8 de l'épître aux Romains, où saint Paul écrit : «Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la manifestation des enfants de Dieu. La création, en effet, a été soumise à la vanité… avec l'espérance qu'elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu.» Charlier donne à ce texte inspiré un prolongement des plus vastes et sublimes, qui s'achève sur sa définition de l'art comme “transfiguration” : «Les beaux-arts sont le plan d'achèvement du monde. Ils tracent les routes où s'engage la pensée, ils forment chrétiennement l'imagination du peuple de Dieu afin que les jeunes générations continuent dans le sens vrai de la création cette enquête analogique qui permet à l'homme d'en achever l'œuvre. (…) Ainsi, Le plan d'achèvement du monde est entre les mains des penseurs, savants, philosophes, artistes, et des ouvriers et du laboureur. Mais les beaux-arts et la poésie vont droit à l'essentiel, à l'amour, à la liberté dont dépendent le bonheur de l'homme et le droit achèvement du monde. Enfin ils ne séparent pas le vrai de cet éclat de vrai qui est la promesse, le gage et le germe de la transfiguration à venir. (…) Les beaux-arts décèlent les assises naturelles de la gloire future dans la beauté de la Création, les beautés de l'Amour, l'harmonie providentielle des âmes, des corps et des choses. Suivant la révélation de saint Paul, ils préparent le monde à la liberté de la gloire. L'art, surtout l'art chrétien, est chargé de lever le voile qui cache à l'esprit les grandeurs de l'esprit. Son œuvre n'est pas une simple imitation faite par jeu ; elle n'est pas non plus un pur symbole idéaliste, mais, pour l'accomplissement de notre destinée, elle est une transfiguration.» L'apport de la philosophie de Bergson à l'esthétique de Charlier Nous ne pouvons omettre de signaler, dans ce rapide survol de l'esthétique d'Henri Charlier, ce que sa pensée doit à la philosophie de Bergson, dont à la suite de Péguy il défendit les grandes thèses. Dès la sortie du numéro des Cahiers de la Quinzaine contenant la Note sur Bergson et la philosophie bergsonnienne, Charlier écrivit à Péguy une lettre d'approbation, où il disait ceci : «J'ai causé de son frère avec Mme Garnier [sœur du philosophe Maritain]. Les intentions de Jacques Maritain sont droites assurément. Il a raison de regretter que la pensée de Bergson ne prenne pas une forme immédiatement chrétienne. Mais cela pourrait être son ouvrage à lui que de faire entrer ce bon grain dans les granges de l'Eglise, et même de lui donner un coup de crible. L'année qu'il a tant plu il y avait un sac de voscerons sur six sacs de blé ; ça ne nous a pas empêché de moissonner. J'ai vu hier l'abbé Marraux au séminaire d'Issy. Il me disait que la plupart des professeurs de philosophie du séminaire n'avaient pas fort goûté les conférences de J. Maritain. Le père Poitevin me disait que le Père de Tonquédec lui assurait avoir beaucoup gagné à la lecture de Bergson. Beaucoup de catholiques et pas les plus chtis vous approuveront, mais ce sont des gens qui se taisent. Croyez à l'affection de votre serviteur in Christo. Henri Charlier.» (8 mai 1914) Henri Charlier rendit un jour visite à Bergson, et au cours de la conversation, il cita au vieux philosophe la phrase de Gauguin “Comme méthode, s'en prendre aux grandes abstractions“ : «Je citai cette parole à Bergson quelques années avant sa mort et, tout infirme qu'il était, il se redressa, le regard en feu, disant : voilà! voilà! Je l'étonnai fort en lui disant que Gauguin était l'auteur de cette pensée ; et quand j'ajoutai que les grands abstractions étaient le dessin, la valeur, la couleur, la lumière, je lus dans ses yeux une expression de vide et d'effarement. Mais il était fatigué, je le quittai, me promettant de lui expliquer une autre fois le sens de ces abstractions.» (Le martyre de l'art, p 103) Cette anecdote illustre le côté universel de la pensée de Charlier, pour qui le langage philosophique (au sens de l'école) et le langage artistique étaient fait pour marcher de pair. Il était capable de traduire dans la langue philosophique les abstractions opérées dans son art, et vice versa. Ce faisant, Charlier a fait de manière très consciente ce que Maritain refusait de faire : il a engrangé dans les greniers de l'Eglise le bon grain qu'il puisait dans la pensée de Bergson. En particulier, les points d'applications de la philosophie bergsonnienne dans la pensée esthétique de Charlier furent les suivants : l'approche métaphysique de la connaissance comme intuition (à la fin de sa vie, dans une note inédite, Charlier a même retiré le petit reproche qu'il faisait sur ce point à Bergson aux premières pages de L'art et la pensée ), la conception bergsonnienne de la qualité, et du temps envisagé comme durée. Les références à Bergson sont très nombreuses dans les écrits de Charlier sur les arts plastiques, mais dans Culture, école, métier nous trouvons ce résumé sur le sujet qui nous occupe ici : «C'est la forme qualitative du temps qui intéresse le plasticien, c'est-à-dire la durée, et il essaie de la traduire par sa trace dans la création. Expliquons-nous. Deux arbres qui ont poussé l'un entre deux rochers, l'autre à six pieds de là dans la bonne terre n'ont pas vécu ce temps l'un comme l'autre. L'un s'est développé difficilement, lentement, l'autre s'est élancé. Et la trace en demeure écrite sur leur tronc : la manière dont chacun a vécu le temps matériel est fixée. Chacun a eu sa durée propre. Nous choisissons à dessein l'exemple de deux objets pratiquement immobiles pour montrer, en faisant toucher du doigt cette trace immobile de la durée, que les arts plastiques ont un fondement réel pour exprimer la durée par de l'espace.» L'apport de Bergson à ces considérations est évident. Le livre de Charlier Le martyre de l'art mérite enfin une dernière mention. En dépit de la forme satirique de l'Enquête finale où Charlier prend le déguisement d'un ancien élève de l'École du Louvre, “officier de l'instruction publique”, cet ouvrage se penche sur les problèmes les plus profonds de l'art, que Charlier ne se contente pas de traiter en passant. Il y a joint en finale un chapitre de morale à l'adresse de ceux qu'il appelle les «gobes-mouches» de l'art: c'est cette enquête, qui prend le ton de L'Alcibiade de Platon auquel Charlier emprunte le portrait du critique d'art moderne, un homo loquax qui parle de ce qu'il ignore. Tous les chapitres qui précèdent l'enquête ne sont qu'un résumé des grandes thèses esthétiques de L'art et la pensée, avec de temps à autres quelques nuances qui invitent le lecteur à faire une synthèse des deux : la connaissance de l'esthétique de Charlier y gagne beaucoup. Le martyre de l'art fut écrit en réponse à une querelle sur l'art chrétien au milieu du vingtième siècle, dans laquelle les artistes chrétiens furent pris à partie par les dirigeants (religieux dominicains) de la revue L'Art Sacré. Voici en quelques lignes tirées du livre la position du problème : «Les dirigeants de L'Art Sacré, au lieu de les aider, firent la moue aux artistes chrétiens, les jugeant de fort haut ; les critiquant de n'être pas assez dans le train d'un monde moderne si éblouissant de toutes sortes de grandeurs, et sans voir que la régulation spirituelle manquait à des idées saines en elle-mêmes, comme celles de Perret en architecture. Les conséquences ne se sont pas fait attendre ; les artistes combattus réagirent vivement et la revue de L'Art Sacré a contribué à séparer du public les artistes chrétiens dont elle eût dû soutenir l'action. (…) Maurice Denis m'écrivait en 1937 pour me dire combien il était mécontent de la voie où L'Art Sacré s'engageait, et qu'il l'avait fait savoir à ses directeurs. Pour arrêter les dégâts, nous voici nous-même obligé à une polémique qui nous fait perdre notre temps. Rien ne prouve mieux la contamination par le monde moderne d'esprits qui devraient en être préservés, que ce pouvoir que s'attribuent deux journalistes de diriger l'art chrétien. Ils sont religieux, c'est entendu, mais, quand ils parlent d'art, ce sont deux journalistes, sans plus, et deux journalistes très mal informés. (…) Il n'y a qu'une manière de diriger l'art, c'est de faire des œuvres assez belles pour que les artistes recherchent l'enseignement qu'elles donnent. Nous l'attendons toujours de ces religieux. (…) Rebutés par les artistes chrétiens soucieux de vérité et non de gloire mondaine, les directeurs de L'Art Sacré se sont tournés vers les artistes profanes avec qui ils s'entendent très bien, car ces derniers ne voient là qu'un moyen d'atteindre une clientèle à laquelle ils n'avaient jamais songé.» Outre les trois ouvrages majeurs mentionnés au début, Charlier a écrit de très nombreux articles sur les arts plastiques. MUSIQUE Trois livres de Charlier sont à retenir : — Jean-Philippe Rameau (1955) : biographie. — François Couperin (1965) : biographie. — Le chant grégorien (1967) : ouvrage écrit en collaboration avec André Charlier. Les livres sur Rameau et sur Couperin racontent la vie de ces deux musiciens des XVIIe – XVIIIe siècles. Outre les parties historiques, bien renseignées, Charlier y fait preuve de connaissances théoriques et pratiques très poussées de la musique, en faisant toutefois bien attention que ces deux ouvrages restent très abordables pour le public auquel ils s'adressent. Le livre sur Rameau s'ouvre par deux courtes lettres dédicatoires, que Charlier adresse aux jeunes gens des deux sexes : Jeune homme qui lisez ce livre… Jeune fille qui lisez ce livre… Dans la vie et l'œuvre musicale de chacun de ces deux hommes, Charlier a su dégager les traits qui les placent au-dessus des musiciens de leur temps et de tous les temps. On lira avec délices les commentaires que fait Charlier des grandes pièces musicales. Ceux sur la musique instrumentale de Couperin (dans le chapitre qui porte ce nom) sont d'une rare intelligence par la pénétration de la pensée profonde du musicien. Et comme le note justement Jean Malignon, qui cite le livre d'Henri Charlier dans la bibliographie de son Rameau (Seuil, 1980), le style écrit de Charlier est particulièrement «savoureux.» Cela vaut aussi pour la vie de Couperin, où Charlier commente la sonate L'Impériale par les lignes suivantes : «Que va nous dire la Suite ? La vie de l'homme moral en dehors des grandes crises. L'admirable allemande par laquelle elle débute est d'une sensibilité à fleur de peau qui, dans la vie, demande à souvent renouveler les bonnes résolutions. C'est ce que font les deux Courantes qui suivent. La première a l'allure d'un chat qui se brûle les pattes. La seconde (plus marquée) dit “faire front”. La sarabande (tendrement) est un rêve de bonheur.» Quant aux œuvres de Couperin pour clavecin, Charlier écrit : «Il y a des pièces tendres ou de sentiment, qui ne sont pas forcément des portraits ou des spectacles. Ce sont les plus précieuses de toutes, car elles nous donnent plus que les autres le fond de l'âme du musicien, elles nous font part de cette mélancolie méditative qui est sa signature la plus personnelle. » Suit une énumération de nombreuses pièces de Couperin, qui, écrit Charlier «sont des œuvres d'un sentiment profond, tournées à la contemplation du mystère de l'homme.» Ces deux biographies écrites par Charlier ne sont pas des ouvrages secondaires, ils ont leur place au premier rang de sa pensée esthétique. Quant au livre sur le Chant grégorien, la partie écrite par Henri Charlier est consacrée à la musicalité grégorienne et à l'enseignement de cette musique qui reste et restera la musique sacrée de l'Eglise latine. Ici encore, Charlier parle en maître, à la fois du point de vue musical, et du point de vue pédagogique
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