André Charlier : Maslacq et Clères
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André Charlier à Clères - Fête des sports, un lundi de Pentecôte lors de la fête des l’école
« Veille de Pentecôte, le soleil brûlant soudain comme pour figurer l’ardeur de l’Esprit : courses sur le stade, records plus ou moins battus, chants plus ou moins harmonieux, défilés, agitation des ateliers, répétitions hâtives, gémissements des acteurs, affairement des machinistes. J’espère qu’au milieu de tout cela les capitaines n’oublient pas de réaliser de quoi il s’agit vraiment, car c’est à eux d’orienter cette activité et de lui donner son sens. Il y a quelques jours, m’adressant à toute la maison, je disais que l’École n’avait jamais eu qu’une signification, c’était de faire aimer la vérité : j’ai bien senti que cette proposition suscitait quelque étonnement, même chez vous. Quand on y réfléchit, aimer la vérité n’est pas une chose très commune : c’est même sans doute une étrange aventure où je vous ai entraînés parce que je ne pouvais pas faire autrement. » André Charlier, Lettres aux capitaines
L'École des Roches à MASLACQ et à CLÈRES sous la direction d'André Charlier
Historique
Les armes et la devise de l'École des Roches
L'École des Roches a été fondée par Edmond Demolins, historien et sociologue français originaire de Marseille (1852 – 1907). Ardent disciple de Frédéric Le Play, il voulut continuer et rajeunir ses idées, et créa dans ce but avec l'abbé de Tourville la revue La science sociale (1886). Demolins voyait dans les sociétés anglo-saxonnes le type idéal de la société future. Il publia trois ouvrages qui attirèrent l'intérêt du public : A quoi tient la supériorité des Anglo-saxons (1897), Les Français d'aujourd'hui et L'éducation nouvelle (1898). En 1899 il fonda l'École des Roches à Verneuil-sur-Avre (Eure) et vécut dans les environs jusqu'à sa mort. L'encyclopédie Catholicisme résume ainsi la pensée pédagogique de Demolins : « Il ouvrit en 1899 l'École des Roches, plus ou moins inspirée de certaines écoles nouvelles anglaises. C'est un internat secondaire, formé de petites maisons où les élèves vivent autour d'un professeur marié, qui les traite comme ses enfants. Le but principal est de former, au lieu de purs intellectuels, des hommes complets. Aux études proprement dites, s'ajoutent des travaux pratiques et des sports. Plusieurs établissements se sont fondés sur ce modèle. »
Il faut savoir qu'à l'époque où naquit l'École des Roches, les sports n'étaient quasiment pas pratiqués dans les écoles françaises. Chacune des maisons où dorment les élèves porte un nom : les Pins, les Tilleuls, le Vallon, Henri IV… La journée aux Roches se déroule selon un emploi du temps adapté à cette nouvelle pédagogie : les cours ont lieu généralement le matin, et l'après-midi est consacré à des activités sportives, artistiques (dessin, peinture, modelage…), musicales, théâtrales etc. André Charlier entra en 1924 à Verneuil comme professeur de littérature et langues anciennes. Le Journal de l'École des Roches de juillet 1938 présente le professeur Charlier avec les titres suivants : « licencié ès lettres et diplômé d'Études Supérieures de langues classiques. » Il fut mobilisé du mois d'août 1939 au mois d'août 1940, année durant laquelle la direction de Verneuil rechercha en zone libre des locaux susceptibles d'accueillir l'École. C'est ainsi que naquit la filiale de Maslacq , dans les Pyrénées-Atlantiques : des religieuses espagnoles propriétaires du château acceptèrent de le louer aux Roches.
A la rentrée de 1940 André Charlier rejoignit le corps professoral de Maslacq. L'année suivante fut décidé le retour à Verneuil, mais une partie des professeurs et des élèves resta à Maslacq, et la direction de cette nouvelle filiale fut confiée à André Charlier. Entre temps, celui-ci s'était marié avec une professeur de Verneuil, mademoiselle Jeanne-Marie Duplâtre. Devenue Madame Charlier, elle seconda admirablement son mari pour toute l'organisation de la vie scolaire. L'Ecole de Maslacq dura dix ans, jusqu'à ce que les religieuses espagnoles reprennent le château. En 1950, le corps professeral et l'ensemble des élèves de Maslacq suivirent André Charlier, qui fut alors invité par la direction de Verneuil à continuer la filiale de Maslacq à Clères (Seine-Maritime) dans les locaux du Collège de Normandie, en fusionnant avec celui-ci. André Charlier assuma la direction de Clères jusqu'à sa retraite en 1962.
André Charlier Directeur  : la dimension spirituelle de l'éducation Comment André Charlier concevait-il sa mission de Directeur ? Lui-même s'en est expliqué dans le dernier Rapport Moral qu'il présenta à la fin de son mandat, le 13 décembre 1962, lors de l'Assemblée Générale des Actionnaires de l'École des Roches.
Après un rappel des événements de l'année scolaire 1961 – 1962, André Charlier dressa un bilan général de ses dix années de Direction à Maslacq suivies des douze ans à Clères : « A Maslacq, tout était à créer. Les circonstances mettaient sur nos épaules une tâche que nous n'avions pas prévue. En plein désastre, il fallait rendre aux jeunes Français des raisons de vivre, les rendre même à leurs parents. (…) Les idées d'Edmond Demolins à nos yeux gardaient toute leur valeur, mais devaient être approfondies, car c'était d'autres lézardes qui nous frappaient dans l'édifice de la société, au point de nous faire craindre sa ruine. Une dégradation générale dans la culture, dans les mœurs, dans le sens civique, avaient fini par provoquer cet écroulement sous lequel la France avait failli être écrasée. L'éducation consiste toujours à faire des hommes. Mais cette fois il fallait repartir de rien, en prenant comme maxime le mot lapidaire de Pie X : Instaurare omnia in Christo [restaurer toutes choses dans le Christ ]. Préparer le baccalauréat sans doute, mais il fallait surtout amener de jeunes âmes à la compréhension de leur vocation de fils de Dieu dans un monde à peu près matérialisé et paganisé. Nous grelottions de froid l'hiver dans les couloirs du château, nous marchions en sabots dans les chemins du village, mais une grande idée et une grande espérance animaient tous les cœurs. » 
André Charlier à Maslacq
Ces derniers mots résonnent avec une particulière actualité après la publication récente de l'encyclique du Saint-Père Benoît XVI sur l'espérance chrétienne, dans laquelle le Pape distingue les petites espérances de la «grande espérance qui ne passe pas », l'espérance de la vie éternelle. André Charlier parle ensuite de Clères : « La manière dont nous avions conçu l'École nous paraissait prolonger aussi bien l'esprit du Collège de Normandie que celui de l'École des Roches. (…) Nos élèves un peu étonnés au début de nos exigences, ne tardaient pas à répondre avec joie à ce que nous leur demandions… Et puis ils aimaient à être traités vraiment en hommes qui sont mis en face de leurs responsabilités. Ai-je besoin de dire que je pense que l'École des Roches ne s'est pas trompée ? Tant de témoignages sont là pour l'attester, mais je me contenterai de cet hommage rendu à l'École par un ancien lors de la dernière Pentecôte : “ L'École nous a appris simplement à nous établir dans la vérité.” »
André Charlier maître spirituel En 1929, le grand poète et écrivain Paul Claudel, qui était alors ambassadeur de France à Washington, mit son fils Henri à l'École des Roches de Verneuil, et le confia tout spécialement à la sollicitude d'André Charlier, avec qui il était en correspondance depuis 1925 et qu'il avait fait entrer dans la coopérative de prières fondée par lui et Francis Jammes. Henri Claudel ne passa qu'une année à Verneuil, suffisamment toutefois pour avoir été marqué par la personnalité de Charlier. En 1930, lorsqu'il quitta les Roches, Paul Claudel écrivit à André Charlier ces mots qui dépeignent très justement en quoi consistait son action auprès des élèves, comme professeur et plus encore comme Directeur : « Vous avez été la grande influence formatrice sur cette jeune âme, le maître idéal suivant l'esprit de Dieu et le cœur chrétien…» André Charlier ne fut pas seulement un excellent maître d'école. Il fut un maître spirituel : un homme qui montre aux âmes le chemin vers l'accomplissement de leur destinée surnaturelle. Il s'acquitta de cette mission par son exemple, sa parole, et les lettres qu'il adressait aux parents d'élèves et aux élèves eux-mêmes (elles ont été réunies et publiées par la suite : ce sont les Lettres aux parents et les Lettres aux capitaines). Devenu Directeur de Maslacq puis de Clères, chaque soir André Charlier réunissait l'ensemble des élèves et leur adressait un “appel” dont la teneur variait selon les circonstances, mais qui avait toujours pour but de ramener les âmes à l'essentiel de la vie spirituelle. Henri Charlier observe que ces entretiens quotidiens aidaient les élèves à voir « leurs défauts, dans l’examen de conscience auquel aboutissaient forcément chacun des “appels” qu’André Charlier prononçait chaque soir dans les écoles qu’il était appelé à diriger . » (André Charlier ou le secret d'une vie). Pour nous faire une idée plus précise de ce qu'il pouvait dire à ses élèves, voici un extrait de la lettre qu'il adressait aux capitaines de Maslacq le 25 janvier 1950. Rappelons que l'École des Roches avait une aumônerie catholique et une aumônerie protestante, et que le 25 janvier marque chaque année la clôture de la Semaine de Prière pour l'unité des chrétiens : « Je vous écris en ce jour de la Conversion de saint Paul, qui termine cette semaine durant laquelle toutes les églises chrétiennes du monde ont prié pour l’union des Églises. J’espère que vous vous êtes unis à ces prières pour que cesse le scandale de la division des chrétiens dont la méchanceté a déchiré la robe sans couture du Maître. Mais, avez-vous un peu considéré ce personnage de saint Paul, qu’en vérité on ne peut se lasser de contempler parce que, si la Grâce a opéré en lui avec violence, sa nature aussi était violente et nullement faite pour les accommodements. C’était une espèce de fanatique, un de ces hommes pour qui les gens distingués comme Voltaire, Renan ou Gide se sont toujours senti une profonde horreur, c’est-à-dire simplement un homme qui croyait à quelque chose et qui, pour ce quelque chose, préférait manier l’épée plutôt que l’arme abominable de l’ironie. Un homme pour qui la vérité est une chose en dehors de nous, qui ne dépend aucunement de nos petites impressions esthétiques ou de nos drames intérieurs : c’est à nous de nous adapter à elle et non elle à nous. » Ici encore, nous sommes heureux de retrouver chez le cardinal Ratzinger des lignes dont la teneur rejoint la grande exigence à laquelle les élèves des Roches se trouvaient confrontés dans la personne d'André Charlier : « Il n’y a pas de vérité au rabais. Elle est exigeante et même brûlante. [La paix qu'apporte Jésus] nous arrache à notre tranquillité pour nous engager dans le douloureux combat pour la vérité. Ce n’est qu’ainsi que peut naître la vraie paix qui est autre chose que cette paix apparente derrière laquelle se cachent l’hypocrisie et des conflits de toute sorte. (…) La vraie paix est combative. Pour la vérité il vaut la peine de souffrir et de lutter. Je ne peux pas accepter le mensonge simplement pour être tranquille. La tranquillité n’est pas le premier devoir du citoyen et du chrétien. C’est d’honorer le grand don du Christ, ce qui peut conduire à la souffrance et au combat jusqu’au martyre, qui fonde ainsi la paix. » (Voici quel est notre Dieu) Une observation de Jean-Marie Grach, capitaine à Maslacq, résume en quelques mots ce que Charlier attendait de ses élèves : « Je crois qu’en sortant des Roches on est à tout jamais un être à part dans la société ; je n’entends pas par là qu’on ne peut vivre avec les autres, mais plutôt que le besoin d’absolu qui vous hante vous rend plus difficile la fréquentation et l’intimité des autres. » Besoin d’absolu : telle était l’exigence du message adressé aux capitaines. Jean-Marie Grach n’avait pas eu peur de prendre cette exigence au pied de la lettre. Le redressement spirituel qui s’opéra en lui est l'illustration concrète de ce que Charlier écrit dans les Lettres aux capitaines : « Les seules grandes révolutions, celles qui ont eu dans le monde le retentissement le plus large et le plus profond, sont les révolutions intérieures. La vôtre est commencée : ayez le courage de la faire jusqu’au bout. » Jean-Marie a fait sa révolution intérieure jusqu'au bout, ce qui l'a conduit a donner sa vie au champ d'honneur en 1944. Entré à Maslacq deux ans plus tôt comme un garçon peu fréquentable aux yeux de certains élèves et professeurs, il comprit la signification spirituelle de l'École d'André Charlier lors de la fête annuelle de la Pentecôte 1943. Sa transformation devenant évidente pour tous, André Charlier le nomma alors capitaine au mois de décembre suivant, charge qu'il assuma en devenant un capitaine exemplaire. En août 1944, après avoir été reçu à son bachot, il s'engagea comme volontaire dans l'armée Leclerc, au 1er Régiment de Spahis Marocains. Chargé de mission comme conducteur d'automitrailleuse, il fut grièvement blessé et mourut le 23 novembre 1944, après avoir confié cette commission à un camarade soldat : « Surtout va voir mes parents, et dis-leur que je suis mort en Français et en Chrétien. »
La lettre qu'André Charlier adressa aux capitaines à la rentrée scolaire de janvier 1945 est tout entière consacrée à Jean-Marie Grach : « Jean-Marie, c’est la fidélité. Il a été totalement fidèle. Certains capitaines de ces années dernières me reprochaient de ne pas leur donner de bonnes petites recettes commodes. Je n’ai pas de recettes à donner pour réussir. (…) On ne peut pas être un homme si on ne réussit pas à tirer de soi tout ce qu’on est, à donner de soi tout ce qu’on a ; si on n’a pas cette souveraine exigence, on n’entrera jamais dans la réalité de l’homme. Jean-Marie est entré en plein dans cette réalité, avec tout l’élan de sa nature ardente. Il était de ceux qui brûlent les étapes et vont au but du premier coup. (…) Si vous avez été témoins de la transformation de Jean-Marie, vous n’avez sans doute pas soupçonné ce qu’a été son évolution spirituelle. Jean-Marie a cherché Dieu de toute son âme. Au moment de son inquiétude la plus grande, il m’écrivait en mars dernier : “J’entrevois ce que peut être une intimité, une vie dont Dieu serait l’essence même, et j’envie ceux qui connaissent cet état. Car avec Lui tout ne doit être que joie et clarté, que sécurité, que joie, joie je le répète, et joie que je ne connais pas et dont j’ai soif.” A cette même époque, Jean-Marie ne cessait de me répéter :“ Je sens que la grâce me travaille”. La grâce le travaillait parce que son âme était toute grande ouverte et dévorée par le désir, elle répondait à l’appel avec une sensibilité extraordinaire. Alors Dieu l’a mené très vite au terme, et nous ne pouvons dire qu’une chose, c’est que c’est bien ainsi.» (lettre du 7 janvier 1945)
Au premier rang, deuxième en partant de la gauche : Jean-Marie Grach, capitaine de Maslacq. André Charlier décrit ainsi l'évolution spirituelle de ce capitaine exceptionnel : «Jean-Marie a cherché Dieu de toute son âme. Au moment de son inquiétude la plus grande, il m’écrivait en mars dernier : “J’entrevois ce que peut être une intimité, une vie dont Dieu serait l’essence même, et j’envie ceux qui connaissent cet état. Car avec Lui tout ne doit être que joie et clarté, que sécurité, que joie, joie je le répète, et joie que je ne connais pas et dont j’ai soif.” La grâce le travaillait parce que son âme était toute grande ouverte et dévorée par le désir, elle répondait à l’appel avec une sensibilité extraordinaire.»
Et dans une autre lettre, André Charlier revient encore sur cette figure exemplaire de capitaine : «Jean-Marie avait les mêmes défauts que vous ; il aimait la vie facile et confortable, il avait comme vous beaucoup de mal à se passer de fumer. Mais il avait une âme de désir et il était tout tendu vers l’achèvement d’un destin qu’il pressentait difficile et redoutable. Lorsqu’on lui disait que Dieu serait pour lui terriblement exigeant, il répondait : « Tant mieux, j’en suis heureux, car je n’aurai pas la honte d’être un médiocre. Je sais que la charge est lourde, mais Dieu ne demande jamais au-dessus des forces de l’homme, et j’ai foi en Lui, foi en l’avenir, plus gonflé que jamais. » Voilà le secret de la vocation de Jean-Marie. Il allait au-devant de la Grâce, alors la Grâce est venue au-devant de lui. La Grâce est un don vraiment gratuit, que nous ne pouvons pas mériter, mais les dispositions de l’âme comptent, et l’attente et le désir et l’acceptation déjà formulée dans l’ignorance de ce qui sera demandé ont une grande puissance, si on ose employer un langage humain, sur le cœur de Dieu. (…) Jean-Marie disait oui d’avance dans l’obscurité, sans rien calculer, sans rien réserver de lui-même. » (lettre du 21 novembre 1946) Mais l'histoire de Jean-Marie est intimement liée à celle d'un autre capitaine l'ayant précédé à Maslacq, qui fut pour lui un exemple, un soutien et pour finir un ami : Hervé Giraud. Lui aussi, durant les grandes vacances de 1944, s'engagea comme volontaire à l'armée, dans le Corps Franc-Pommiès, devenu ensuite le 49e régiment d'infanterie. Il s'y conduisit avec bravoure et fut chargé de commander le groupe d'observateurs du 2è bataillon. Après sa mort, survenue sur le front allemand à Hoffen le 9 avril 1945, André Charlier écrivit ces lignes à l'adresse des capitaines de Maslacq : « Hervé avait acquis une gravité qui faisait de lui presqu’un homme. Vous vous rappelez qu’il y a un an il m’a demandé à abandonner son dortoir. La raison officielle qu’il en donnait était qu’il fallait mettre un nouveau capitaine à l’épreuve. Mais il avait une autre raison qu’il n’a dite qu’à moi : c’est que malgré l’affection profonde qu’il avait pour tous ses camarades, il était fatigué de son dortoir. Il avait besoin de recueillement, il souffrait avec peine vos perpétuels enfantillages. Il est vrai qu’il avait mûri extraordinairement vite, lui, le méridional volontiers farceur et hâbleur, qui nous était arrivé à quinze ans en aussi piètre état que vous-mêmes, dont le caractère était aussi peu formé que l’esprit ; dès sa seconde année d’école il avait compris ce que j’attendais de lui et il avait révélé l’étoffe d’un vrai chef. C’est lui qui a été l’an dernier l’animateur de l’École. Ce que vous lui devez est immense. S’il est devenu celui que vous avez connu et aimé, c’est qu’il est entré à fond dans la réalité de l’École. »
A droite sur la photo : Hervé Giraud, capitaine de Maslacq (au milieu : Claude Haardt, à la droite de celui-ci : Antoine Guiraud). D'André Charlier, sur Hervé Giraud et Jean-Marie Grach  : « Encore enfants, ils étaient plus hommes que tant de nobles messieurs doctes et puissants. Ils sont les premiers dont j'ai reçu une réponse, c'est pourquoi j'ai pour leur mémoire une tendresse particulière. » Jean-Marie était catholique, et Hervé protestant.
Deux points méritent d'être mentionnés, qui donnent la mesure de l'estime en laquelle André Charlier tenait Hervé et Jean-Marie. Tout d'abord, après la mort de ces deux élèves au front, Charlier fit faire à ses propres frais une édition des lettres de Jean-Marie Grach, auxquelles il a joint la lettre qu'Hervé Giraud lui écrivit sous le coup de la mort de Jean-Marie.
Un homme de 50 ans, Directeur d'une grande école de France, faisant éditer les lettres de deux adolescents de dix-huit ans : Charlier attachait un grand prix à l'héritage légué aux Roches par ces deux capitaines exceptionnels. Ensuite cinq ans plus tard, dans l'admirable mémorial des dix ans passés à Maslacq qu'il écrivit pour les Cahiers sous le titre “Adieu à Maslacq”, André Charlier n'a voulu retenir comme seul souvenir que l'histoire de Jean-Marie Grach et Hervé Giraud : « Encore enfants, ils étaient plus hommes que tant de nobles messieurs doctes et puissants. Ils sont les premiers dont j'ai reçu une réponse, c'est pourquoi j'ai pour leur mémoire une tendresse particulière. (…) Jean-Marie Grach et Hervé Giraud m'ont appris que, même aujourd'hui, les âmes étaient capables d'écouter, pour reprendre le langage de Bossuet, “l'endroit où la vérité se fait entendre.“ » Enfin, le meilleur hommage que nous puissions rendre à l'œuvre d'André Charlier aux Roches est de rappeler ces lignes de la dernière lettre qu'Hervé Giraud lui écrivit après la mort de Jean-Marie : « Tout jusqu’alors m’avait été donné, tout, presque m’avait réussi je ne connaissais pas l’échec, la malchance, le malheur. Mes camarades, je le sentais très bien, enviaient souvent mon sort et aspiraient à une amitié aussi profonde que celle qui m’unissait à Jean-Marie. (…) Il n’existait pas d’amitié plus belle que la nôtre. Je vous dis quelque chose que vous savez fort bien, mais c’est dans votre berceau qu’elle a pris naissance et c’est pas vos soins qu’elle s’est forgée. Je vous ai dit bien souvent que les deux dernières années que j’ai passées à l’École avaient été les plus belles, les plus heureuses, et aussi les plus enrichissantes de ma vie. Jean-Marie vous a répété la même chose pour lui. Quand nous avons quitté ensemble pour la dernière fois ce vieux château de Maslacq, le 3 juin dernier, nous étions à tous points de vue, lui et moi, vous et lui, vous et moi, en parfaite communion d’esprit. Jamais des liens aussi solides, aussi véritables, n’ont existé entre hommes de générations différentes vous nous aviez donné à chacun tout ce que vous aviez à nous donner — mais vous nous l’avez donné à tous les deux de façon à nous compléter l’un l’autre, à ne faire qu’un. (…) Je viendrai à Maslacq à la Pentecôte si je peux, si j’en ai le courage. Nous rêvions d’y aller ensemble dans nos beaux uniformes, et tous deux décorés. J’irai quand même pour le représenter, pour parler de lui, pour recueillir ses derniers souvenirs. (…) Je voudrais plus tard écrire la vie de Jean-Marie elle fut courte, mais belle, surtout en ces dernières années où vous et moi avons vu le gosse devenir un homme. Pensez-y, je vous prie, pour m’y aider. » Hervé était protestant, et Jean-Marie catholique. Et ce témoignage est d'autant plus exceptionnel que c'est l'exemple d'Hervé, alors capitaine, qui aida Jean-Marie à retrouver le chemin de la foi.
Pédagogie d'André Charlier André Charlier ne se souciait guère de méthodes pédagogiques. Il avait fait ses études supérieures de lettres entièrement seul après la première guerre mondiale, durant la convalescence de sa blessure de guerre, qu'il passa à Cheny dans la ferme de ses grands-parents maternels. Les témoignages de famille donnent à penser qu'il obtint sa licence ès lettres et son diplôme d'études supérieures de langues classiques (latin & grec) en présentant les examens en auditeur libre, ou bien en suivant des cours par correspondance qu'il travailla sur place, à la ferme de Cheny. Il est sûr en tout cas qu'il n'a pas suivi de cours universitaires en Faculté, son état de santé s'y opposant. Cette formation très personnelle explique l'indépendance qu'il gardait vis à vis des méthodes scolaires. Il croyait davantage à l'acquisition du savoir qu'aux cours théoriques et aux diplômes. Henri Charlier décrit ainsi cette période de convalescence studieuse à Cheny : «André Charlier a donc mené cette vie paysanne, avec d’authentiques paysans, en dehors des écoles. Il a pioché les vignes avec son frère et son grand-père, moissonné, taillé la vigne, coupé du bois, labouré, car aussitôt après son bachot il fit des stages chez un proche cousin (il s’appelait Rameau) pour se mettre au courant du métier de labourage, très distinct de celui de vigneron. Son frère lui fit même faire un stage chez un éleveur de volailles, métier alors à ses débuts et très rentable alors, même sur une petite exploitation comme celle dont il allait disposer. Ses anciens élèves reconnaîtront en tout cela l’origine si peu scolaire de sa direction et de ces fusées de fantaisie qui faisaient de la vie au collège un côté de la vie familiale. (…)  Il dirigeait une école très libre dans sa discipline et son organisation ; il avait appris la viticulture, non dans une école, mais avec des vignerons intelligents ; il avait continué ses études pendant sa convalescence après la guerre de 1914 au coin du feu en hiver et sous la treille pendant la belle saison, tout en aidant au jardin potager. Il était donc très novateur, ne s’inquiétant guère d’imiter ce que faisait l’État, croyant à l’acquisition de l’expérience et du savoir, non aux diplômes, le contraire en somme de ce qui nous est imposé. » (André Charlier ou le secret d'une vie) Que trouvons-nous dans le programme d'études qu'André Charlier se donnait à lui-même ? Les œuvres des grands génies de tous les temps. Et il ne lisait pas seulement durant les temps laissés libres par la culture du potager ou les travaux des champs : il partait toujours à la vigne ou au labour avec un livre dans la poche, qu'il lisait en faisant la pause après avoir travaillé quelques arpents de sillons. Nous l'apprenons par son Journal. En mai 1913, donc à l'époque où il comptait devenir agriculteur et n'était pas encore baptisé, il énumère les lectures qu'il avait eu le loisir de faire en travaillant aux champs : tout l'Évangile selon saint Luc ; L'argent, L'argent suite et l'Ève de Charles Péguy, l'Essai sur les données immédiates de la conscience du philosophe Henri Bergson, et beaucoup d'autres livres. Il passait aussi ses temps libres à traduire des vers grecs pour son plaisir (Les Bacchantes, etc.) On voit que son choix de lectures embrassait déjà un horizon très large. L'immense culture qu'André Charlier mit ensuite au service de son métier de professeur et de Directeur des Roches, trouve son origine dans ces études entièrement personnelles, accomplies de manière très libre, sans maître d'école ni professeur derrière son dos. Cette façon d'envisager l'éducation pourrait être comparée à la manière dont sont organisées les études dans les monastères où l'on réserve toujours la première place à la vie spirituelle, toutes les autres activités des moines y étant ordonnées. André Charlier lui-même, qui était oblat bénédictin, n'hésitait pas à envoyer ses élèves dans les monastères ou abbayes proches de l'Ecole pour approfondir leur vie spirituelle, et cela ne fut point sans influer sur la vocation de quelques uns d'entre eux.
Frère Gérard Calvet et Frère Marie (Guy) de La Chapelle, ancien capitaines de Maslacq, à l'abbaye de Tournay où ils prononcèrent leurs vœux perpétuels
L'École des Roches à MASLACQ et à CLÈRES en images
Le système éducatif propre aux Roches offrait à André Charlier des conditions extrêmement favorables à la mise en œuvre de ses talents personnels d'éducateur. Lui-même s'étonnait d'avoir pu remplir ainsi cette mission de Directeur d'école si étrangère à ses propres goûts et à laquelle rien ne le préparait, au point qu'il parle dans son Journal d'une sorte de  « charisme » que Dieu lui avait donné pour accomplir son œuvre. La vie spirituelle et intellectuelle, la musique instrumentale, la polyphonie, la farce, la comédie, le théâtre dramatique, la clownerie donnèrent à Maslacq et à Clères un visage qu'aucune école au monde n'avait connu. Nous vous proposons de découvrir en photos une part de ce visage que prirent les Roches sous la direction et avec le concours personnel d'André Charlier.
TÂCHES DU DIRECTEUR DE MASLACQ ET DE CLÈRES
« Ayant la responsabilité de l'École des Roches, la seule chose qui me paraissait indispensable et urgente était de faire passer en elle un certain goût de perfection, de mettre ce goût dans la vie physique, dans la vie intellectuelle, dans la vie spirituelle, dans les rapports humains, dans le métier scolaire, dans les jeux mêmes. C'est une idée étrange sans doute. Je trouvais cela beaucoup plus important que les méthodes pédagogiques. » (Que faut-il dire aux hommes) Point de “recette” de pédagogie chez Charlier, mais le grand précepte de l'Evangile appliqué en toutes circonstances au pied de la lettre : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Matthieu, 5, 48)
Le capitainat Ayant la charge de l'École des Roches, André Charlier mit l'accent sur la formation des capitaines, grands élèves qui avaient la responsabilité des élèves plus jeunes. Il faisait en sorte de les voir souvent et d'entretenir des relations personnelles avec ceux d'entre eux qui le désiraient. Le caractère familial de l'éducation donnée aux Roches favorisait ces relations, surtout à Maslacq où les conditions de vie s'y prêtaient naturellement. Dès le début de l'année scolaire 1942, à Maslacq, André Charlier prit l'habitude de leur écrire, à intervalles plus ou moins réguliers (chaque trimestre, en général), afin de diriger leurs pas dans la fonction de capitaine. L'ensemble de ces lettres ont été réunies en un volume intitulé Lettres aux capitaines. Très rares sont les lettres qui traitent des études scolaires proprement dites. La conception que Charlier avait de l'éducation se situe beaucoup plus haut, au niveau des valeurs morales et surtout spirituelles. Certaines de ces lettres sont de vrais traités de spiritualité chrétienne. Le sujet qui revient le plus souvent est l'amour de la vérité.
André Charlier et les grands élèves, à Clères
 «Il y a quelques jours, m’adressant à toute la maison, je disais que l’École n’avait jamais eu qu’une signification, c’était de faire aimer la vérité : j’ai bien senti que cette proposition suscitait quelque étonnement, même chez vous. Quand on y réfléchit, aimer la vérité n’est pas une chose très commune : c’est même sans doute une étrange aventure où je vous ai entraînés parce que je ne pouvais pas faire autrement.» Lettre aux capitaines de Clères, Pentecôte 1953 « La Vérité nous dépasse infiniment et pourtant elle est faite pour nous tout entière. Apprendre à la connaître et à l’aimer est une œuvre de toute la vie, la seule œuvre importante, car nous aussi nous sommes faits pour elle, et même nous ne sommes faits que pour elle. Que signifient à côté de cela les progrès de la technique ?(…) La plus grande charité que nous puissions faire à notre prochain est de lui rendre le goût de la Vérité : c’est une charité bien plus grande que de soigner son corps, bien plus nécessaire que n’importe quelle œuvre sociale. Vous n’avez pas besoin d’autre tribune que la conversation côte à côte dans une salle d’étude ou dans votre dortoir ou dans les allées du parc. La seule chose importante est que vous ayez vous-mêmes dans votre cœur l’amour de la Vérité. » 1er février 1960
Jeanne-Marie Charlier (1892-1996) deuxième femme d'André Charlier, qui fut une auxiliaire remarquable auprès de son mari pour la direction de l'École des Roches.
Le Prince Bao Long, fils de l'Empereur d'Annam Bao Daï, élève à Maslacq
« Il faut vous détacher spécialement de l’argent et de ce qu’il procure. Je voudrais que vous m’aidiez à faire régner dans la maison un certain esprit de pauvreté, car je crois que rien de profond n’est possible sans lui. Je me rends compte que j’écris là une chose assez extraordinaire. Pourtant, si vous le voulez, ce n’est pas impossible : c’est une question d’atmosphère à créer. Ce n’est pas impossible, si vous êtes vraiment, comme je le voudrais, des âmes de désir, si vous donnez l’exemple de mettre les choses à leur plan, si vous vous dépouillez du factice et du superflu qui est la rançon de la richesse. Vous êtes comblés par la vie. Faites-vous pauvres. » Lettre aux capitaines de Maslacq, 30 avril 1944
Cours de littérature et de latin Lorsqu'il se vit confier la charge de Directeur, André Charlier n'en continua pas moins à donner des heures de cours de littérature et de latin.
André Charlier donnant un cours de latin
« Le but de vos études n’est pas d’entasser dans votre esprit une certaine somme de notions, mais de vous faire pénétrer profondément dans la vie de la pensée, de vous apprendre à penser. Or ce n’est pas autrement que par votre travail scolaire que vous y parviendrez. Vous ne vous intéressez pas à ce que vous faites parce que vous n’allez jamais au-delà de la surface des choses. Les premiers obstacles vous arrêtent. Il faut vouloir les vaincre et alors vous toucherez les grandes beautés. Les chinoiseries de la syntaxe latine vous assomment mais au bout il y a Virgile, et il y a Tacite.(…) Or gardez-vous, dans votre impatience d’être des hommes d’action, de négliger d’apprendre à penser, parce que vous resterez à jamais incomplets.» Lettre aux capitaines de Maslacq 28 février 1945
Concerts et récitals musicaux Une fois par semaine, à la place de l'appel quotidien qu'André Charlier adressait aux élèves, avait lieu une audition musicale. Les pièces étaient généralement interprétées par des professeurs de l'Ecole, et André Charlier sut y donner sa mesure, mais il fit venir aussi des concertistes ou interprètes très célèbres. Jane Bathori qui avait chanté sous la direction d'Erik Satie et de Claude Debussy, vint à Maslacq accompagnée d'Irène Joachim pour donner en récital La mort de Socrate, de Satie. Le Quintette Jamet, le Quattuor de Prague, la claveciniste Aimée Van de Wiele donnèrent des concerts. Avec le violoncelliste André Lévy, c'est André Charlier lui-même qui interpréta la Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy. Enfin le baryton Gérard Souzay fut aussi invité par Charlier à se produire devant les élèves. André Charlier ne voyait point dans la musique, pas plus que dans toute espèce d'art, un amusement, mais un véritable moyen d'expression, un langage de l'âme, qu'il jugeait indispensable de faire connaître à ses élèves.
Récital de clavecin par Aimée Van de Wiele, à Clères dans le salon des Tilleuls 
André Charlier donnant un concert de clavecin pour les élèves de Clères
« On croit volontiers que la musique n'est qu'une émotion purement subjective, mais on se trompe. La musique est simplement un langage de l'âme qui dit ce qu'elle connaît de l'Être, elle est essentiellement cela, pourvu qu'elle consente à descendre au-delà de l'expression des passions ; et quand elle est purement cela, elle parle alors un certain langage commun, qui transparaît sous la diversité des nations et des génies : c'est pourquoi vous trouvez une parenté profonde entre telle mélodie grégorienne et une mélopée de bateliers du Congo ou une chanson d'amour du Pérou. » André Charlier, Les propos de Sélénius
RELATIONS AVEC LES PARENTS D’ELEVES
Conscient que rien ne pouvait se faire sans le concours des parents d'élèves, André Charlier leur écrivait aussi des lettres, qui ont été réunies en un volume intitulé Lettres aux parents.
Visite des parents (Madame Jacques Calvet, mère de Bruno et Michel)
« Vous jouissez pour la plupart d'une très grande aisance, et vous habituez vos enfants à ne rien se voir refuser. Tous leurs désirs étant comblés avant même qu'ils soient formulés, ils n'ont pas la moindre notion d'une contrainte quelconque. Vous ne pouvez imaginer l'étonnement naïf qu'ils éprouvent lorsqu'on leur dit ici qu'il n'est pas bon de faire tout ce qui plaît. Sur le plan intellectuel, toutes les disciplines de base, qui comportent naturellement beaucoup d'exercices rigoureux, sont inexistantes, et nous sommes obligés de construire une culture sur le vide. Sur le plan moral, les vertus chrétiennes, qui comportent, qu'on le veuille ou non, un ascétisme fondamental, leur sont presque étrangères, de sorte que tout en appartenant à des familles où les traditions religieuses sont solides, ils sont en train de devenir de petits païens. Nous vivons dans un monde où tout sens des valeurs est aboli ; comment vos fils l'auraient-ils si vous ne le leur donnez pas ? Tout est pour eux trop facile, et ils n'ont pas idée que ce qui exige de la peine puisse avoir du prix. » Lettre aux parents
FÊTE DE L'ÉCOLE DES ROCHES : LA PENTECÔTE
La fête de l'Ecole avait lieu à la Pentecôte. Le dimanche était une journée réservée aux offices liturgiques et à des activités de l'esprit, tandis que le lundi était une journée plus détendue au cours de laquelle avait lieu la fête des sports. Le dimanche soir avait lieu la représentation d'une pièce de théâtre, mise en scène par André Charlier, qui prenait lui-même rang parmi les acteurs (souvent dans le rôle principal). Lorsque commencèrent les Journées de Maslacq — journées de conférences autour d'un thème choisi, qui réunissaient les anciens après la sortie des classes au début des grandes vacances — il arriva qu'une deuxième pièce fut montée par Charlier pour agrémenter ces Journées. Quelques lignes de la lettre aux capitaines du 18 avril 1950, visant à préparer la prochaine Pentecôte, disent en quel sens André Charlier envisageait cet événement annuel : « Ceci dit, qui concerne votre activité journalière dans l’École, j’espère que vous n’oublierez pas que nous avons à nous préparer à la Pentecôte, qui est la fête de l’Esprit-Saint. Je parle naturellement de la préparation intérieure, la seule importante. Je puis vous assurer que cette fête nous a toujours apporté des grâces : c’est ce jour-là que Jean-Marie a discerné ce qu’était l’École et que sa transformation s’est dessinée. A côté de la réussite extérieure de la fête, il s’est toujours passé quelque chose dans certaines âmes. Faisons donc en sorte que la Pentecôte couronne ce que Pâques a commencé, je veux dire la résurrection en nous de l’homme intérieur. » Aux yeux de Charlier, l'événement majeur de la fête de l'École était ce qui se passait à l'intérieur des âmes. Toutes les autres activités, théâtre, sports, chants polyphoniques, etc, étaient au service de la Pentecôte intérieure dans les âmes des élèves. Théâtre, comédies, et clowneries André Charlier commença à mettre en scène et à jouer des pièces de théâtre dès les années de Verneuil (La nuit de Noël 1914 de Claudel, le Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc de Péguy).
Le mariage (Gogol). A gauche, Jacqueline Abel, ancienne élève puis professeur à l'École des Roches de Clères (1951-1971). A droite : André Charlier
A Maslacq, il créa une vraie troupe de théâtre qui jouait avec de vrais costumes d'époques dans de vrais décors. Charlier était maître dans l'art de la mise en scène et jouait remarquablement. Lorsque commencèrent les Journées de Maslacq il arriva qu'une deuxième pièce fut montée par Charlier pour agrémenter ces Journées. Donnons quelques uns des titres de pièces mises en scène par Charlier : Maslacq —  Les Plaideurs (Racine) — 1942 : La nuit de Noël 1914 (Claudel)— Monsieur de Pourceaugnac (Molière) — Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée (Musset) — 1947 : Protée (Claudel) —  Le Médecin malgré lui (texte de Molière, musique d'André Charlier) —  Le Sicilien ou l'Amour peintre (texte de Molière, musique d'André Charlier) — La Nuit des Rois (Shakespeare) — As you like it (Shakespeare) — La Boîte à Joujoux (ballet de Claude Debussy) Clères — 1951 : La Belle aubergiste — 1952 : Les Fausses confidences ( comédie de Marivaux) —  Le Mariage (Gogol) —  Le Revizor (Gogol) —  La Farce de Maître Pathelin (anonyme, du Moyen-Âge) — 1961 : L'Éventail (Goldoni)
Les Fausses confidences (Marivaux). André Charlier à droite, dans le rôle de Dorante. En face de lui : sa fille, Marguerite Charlier, dans le rôle d'Araminte. Dans la pièce de Marivaux, Dorante tient le rôle d'un jeune bourgeois de belle mine mais sans fortune, qui est amoureux fou d'Araminte, veuve fort riche. Commentaire d'André Charlier dans son Journal intime : «Pour la Pentecôte nous préparons les Fausses confidences, avec Marguerite dans le rôle d'Araminte et moi dans celui de Dorante. C'est cocasse.»
La Boîte à Joujoux (mime en musique, de Claude Debussy)
Le mariage (Gogol). André Charlier, et Albert Gérard (ancien élève de Verneuil, puis professeur à Clères de 1952 à 1962).
André Charlier aimait aussi à jouer la farce ou la comédie, il y voyait un moyen d'éducation très puissant, et même un exercice de spiritualité, car il partageait la vue de Péguy : La vie spirituelle et la sacramentelle N'est pas une entreprise aride et contractée
André Charlier dans La Farce de Maître Pathelin
« Rien ne me paraît plus hautement éducatif que la farce pour un monde qui s'ennuie à mourir : c'est même un exercice de spiritualité presque aussi efficace que les Exercices spirituels de saint Ignace pour vous disposer à l'état de grâce. Elle vous libère de la logique pour vous faire entrer dans le royaume délicieux de la fantaisie, elle vous empêche de croire au ridicule et prétentieux personnage que vous êtes, elle vous fait déposer toute la carapace des conventions, des préjugés… pour vous revêtir du costume aérien de la folie. Elle desserre les rouages affreusement compliqués que nous employons toute notre industrie à construire, pour que la grâce puisse passer au travers. » André Charlier, Première lettre aux Cahiers de Maslacq
« Le rire est le signe de la santé physique et morale, celui de l'énergie confiante et du départ pour l'aventure, c'est même celui de la vraie gravité et du vrai sérieux. (…) “Pourquoi y a-t-il si peu de gens qui peuvent supporter la pensée de la joie ?” Je ne sais où j'ai lu dans Claudel cette interrogation. Et c'est bien vrai que le monde d'aujourd'hui est incroyablement triste. Son visage morose et fatigué témoigne de la pauvreté des objets qu'il poursuit, avec quelle tenacité. Il ne rit plus : il lui faut le bruit et le bastringue pour le réveiller de sa morne torpeur. C'est au milieu de cette humanité désolée qu'éclate le rire de Claudel. » Le rire de Claudel, article d'André Charlier (Le Correspondant, 1937)
André Charlier en clown
La troupe de clowns à Maslacq
« Voilà que vous vous mettez à écrire. Je parierais très gros qu'on va vous accuser comme moi d'être pessimistes. Ceux qui vous diront cela, invitez-les donc à venir jouer Pourceaugnac avec moi, ou à danser les ballets de l'Amour médecin, ou à nous apporter le concours de leur jovialité dans la troupe de clowns que nous allons organiser à Maslacq. » Première lettre aux Cahiers de Maslacq
L'éventail (Goldoni). André Charlier avec sa deuxième épouse Jeanne-Marie Charlier (professeur aux Roches de 1947 à 1962)
La fête des sports
Fête des sports à Maslacq
« Veille de Pentecôte, le soleil brûlant soudain comme pour figurer l’ardeur de l’Esprit : courses sur le stade, records plus ou moins battus, chants plus ou moins harmonieux, défilés, agitation des ateliers, répétitions hâtives, gémissements des acteurs, affairement des machinistes. J’espère qu’au milieu de tout cela les capitaines n’oublient pas de réaliser de quoi il s’agit vraiment, car c’est à eux d’orienter cette activité et de lui donner son sens. (…) Au jour de la Pentecôte Dieu fait violence aux hommes, mais Il nous fait violence à nous-mêmes tous les jours. Vous ne sentez pas, par votre propre expérience, combien il y a de forces en vous qui luttent pour vous empêcher de croire à ce qui vous dépasse ? » Lettre aux capitaines de Clères, Pentecôte 1953
Fête des sports à Clères
« Être libre, cela veut dire qu’on s’est placé dans le plan de la création, qu’on a compris ce que Dieu attend d’un homme et c’est simplement de continuer la Rédemption. Être libre, c’est se réaliser soi-même et assumer le rôle créateur dévolu à l’homme par Dieu, se réaliser dans une véritable allégresse poétique. Mais sans doute la liberté ne vous intéresse pas : vous rêvez d’être de petits ou grands fonctionnaires, c’est-à-dire les rouages d’une énorme mécanique dont vous serez prisonniers. (…) Je vous en prie, faites éclater le système, soyez des hommes libres, laissez les carrières de fonctionnaires à ceux qui ont des âmes un peu serviles, ayez le goût de créer quelque chose de personnel ; parlez un langage d’hommes libres et non ce langage administratif qui est en train de devenir une langue universelle. La raideur est tout ce qu’il y a de plus contraire au génie français. (…) Le feu dont parle l’Évangile, c’est le feu de la Pentecôte, le feu de l’exaltation de l’Amour. Comme le feu naturel, il faut qu’il ait quelque matière pour prendre. Je souhaite donc que le feu de la Pentecôte puisse trouver en vous quelque atome de générosité et de fidélité pour qu’il prenne et consume tout ce qui est impur. Demain nous prierons ensemble pour qu’il élève votre cœur à la hauteur des grands devoirs de notre temps. »  Appel prononcé par André Charlier à Clères, pour une veille de Pentecôte.
Les armes et la devise du Collège de Normandie
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